Étudier les écosystèmes marins pour conserver les conditions de vie humaine : des recherches à l’international

Le
LEMAR
Ecosystème marin

Gauthier Schaal est écologue marin à l’IUEM et maître de conférence à l’université. Il s’intéresse au fonctionnement des écosystèmes côtiers, plus précisément, aux flux de matière dans l’alimentation des organismes marins, au sein du LEMAR. Il enseigne également au département de biologie, à l’UFR des Sciences et techniques au niveau licence, et à l’IUEM pour les masters EGEL et Sciences biologiques marines.

Dans cet article, il nous partage ses recherches et développe l’importance d’étudier l’écologie marine pour, en partie, garantir notre survie.

La protection des écosystèmes, c’est la protection de l’humain ?

Les avancées scientifiques sur les écosystèmes et leur compréhension, amènent à repenser la définition d’un écosystème sain. Mais qu’est-ce qu’un écosystème en bonne santé, alors qu’il n’existe aucun écosystème non affecté par l’humain ? C’est une question à laquelle les experts peinent à répondre, car il est très compliqué d’imaginer à quoi ressemble un bon état écologique sans modèle de comparaison sain, sans “témoin”.
C’est pourquoi les écologues, tels que Gauthier Schaal, cherchent à évaluer l’état de santé des écosystèmes, afin de prendre des mesures de gestion de l’environnement, dans l’espoir un jour de trouver réponse à cette question.

Gauthier Schaal - “Je m’intéresse en particulier aux flux de matières dans les écosystèmes, ces unités écologiques étant des réseaux d'échanges de matière et d’énergie. Mon objectif est d’en comprendre le fonctionnement pour anticiper leurs réactions face à un environnement extérieur, et ainsi trouver des solutions pour s’adapter aux problématiques environnementales actuelles.

L’enjeu d’étudier et de protéger les écosystèmes dans toutes leurs formes et leurs variétés, c’est de conserver des bonnes conditions de vie humaine ; car la protection de l’environnement, c’est la protection de l’humain. En fait, on dépend intimement de la nature et de la biodiversité. À chaque seconde de notre vie, on dépend du vivant ; que ce soit pour respirer, pour manger, pour se vêtir, pour se soigner, mais aussi pour la régulation des maladies et des événements extrêmes. Cette activité de recherche est donc essentielle, car nous avons besoin d’écosystèmes en bonne santé, autant que possible, pour garantir notre survie.”

Comment étudier l’alimentation au sein des écosystèmes marins, jusqu’à l’humain ?

Gauthier Schaal - “En tant qu’écologue marin, je m’intéresse aux échanges de matière dans les écosystèmes et donc à l’alimentation. La difficulté du milieu marin, c’est que son accès est assez limité, manque de branchies et de nageoires, l’observation directe est compliquée.

  • Une première approche va donc être d’étudier les contenus stomacaux des animaux. Cependant, cela n’est pas toujours évident ; j’aurais moins de peine à ouvrir un bar pour regarder ce qu’il y a dans son estomac, qu’un requin blanc très protégé.
  • Une autre méthode est l’utilisation des biomarqueurs. Ils permettent de mesurer les composés présents dans les tissus des organismes marins, qui vont donner des indices via des éléments appelés “isotopes stables”, propres à ce qu’on mange. En fait, certains mets présentent un taux de certains isotopes du carbone (12C, 13C et 14C) beaucoup plus élevé que d’autres. L’alimentation étant la seule façon de fixer du carbone, comparer les éléments présents dans les tissus d’un animal et ceux dans les tissus de ses sources de nourriture potentielles, me permet de savoir ce qu’il a pu manger.
  • Une dernière méthode que j’emploie est celle de l’étude de la composition en lipides, autrement dit, de la composition en gras des organismes. Cette teneur en gras d’un animal me permet de la relier à ses sources d’alimentation. Ainsi, je peux retrouver indirectement ce qu’a mangé un requin qui s’est nourri de poissons, qui ont eux-mêmes mangé du plancton. On appelle ça la “traçabilité des éléments” ; les éléments traces permettent de reconstruire le réseau trophique des espèces et donc de comprendre le fonctionnement d’un écosystème.”

Avez-vous un exemple concret d'application de vos recherches, à nous partager ?

Aquaculture de crevettes

Gauthier Schaal - “Un exemple d’application directe de mes recherches, c’est celui d’une action sur une aquaculture de crevettes en Nouvelle-Calédonie. Il faut savoir que la crevette compte parmi les deux plus importantes exportations de cet archipel. Le problème, c’est que ces crustacés sont élevés dans des grands bassins, dans lesquels ils sont nourris en masse, et, donc, où des résidus alimentaires non consommés et des déjections s’accumulent. Au résultat, les bassins sont trop enrichis en matière organique et sont source de maladies, créant de graves problèmes sanitaires et les rendant inutilisables pour les prochaines cultures de crevettes. C’est là que mon équipe et moi agissons, nous avons montrer comment les concombres de mer étaient capables d’assimiler les effluents des fermes de crevettes, et les éleveurs ont mis en place une aquaculture multitrophique intégrée : avec l’ajout de concombres de mer qui se nourrissent des matières organiques produites par les crevettes dans les bassins, un petit écosystème est créé, limitant la présence des déchets dans l’eau. C’est un exemple de système d’alimentation qui apporte davantage de richesse nutritionnelle, autant pour les animaux que pour les humains.”

Quelle est la portée internationale de vos recherches en écologie marine ?

Gauthier Schaal - “La plus grande partie de mes recherches actuelles, consiste en l’encadrement des étudiants - allant du master au post-doctorat - qui s’inscrit dans le cadre de leurs projets de stage ou de thèse. Aujourd’hui, j’encadre 5 thèses, sur des thématiques, des chantiers, des approches et des objets de recherche très diversifiés. Ce sont des sujets d’étude internationaux ; comme j’aime le dire, je travaille de l’Antarctique à l’Arctique."

"Dans le cadre de la thèse d’Anthony Voisin ; on s'intéresse aux réseaux trophiques polaires, et à la dépendance des communautés écosystémiques à leur environnement. L’enjeu est de comprendre le fonctionnement écologique de l’écosystème antarctique, pour appréhender les effets du changement climatique sur le milieu et prévoir au mieux les besoins futurs en termes d’adaptabilité. Cette thèse est réalisée en co-tutelle avec l’Université de Liège, en Belgique."

"J’accompagne Alice Guillot dans son travail sur les populations associées à la pêche. L’objectif est de caractériser la valeur nutritionnelle des espèces de poissons, de crustacés et de mollusques, pour faire le lien entre l’écologie des espèces marines et leur consommation par les humains. Les ressources marines ont un rôle essentiel pour ces populations, alors il est primordial de s’intéresser aux effets des processus de conservation des espèces qui seront mangées et à leurs contaminations par les différents polluants."

"Une autre thèse encore, celle de Annaëlle Anquet, porte sur l’échouement en masse d’algues marines sur l’estuaire du Saint-Laurent au Canada et sur les plages bretonnes. Ces végétaux s’accumulent en très grandes quantités, représentant des milliers de tonnes de matières organiques. Avec mon étudiante, nous essayons de comprendre pourquoi ces échouements ont lieu, quelles sont les conditions propices à ces événements, et comment cela agit sur l’écologie côtière et les écosystèmes côtiers. Cette thèse est réalisée en co-tutelle avec l’Université du Québec à Rimouski."

"Il y a également une thèse en collaboration avec le LETG ; c’est Kimberley Cloirec, doctorante en géographie, qui va se pencher sur les effets de la fréquentation maritime humaine, au niveau des littoraux, sur les écosystèmes marins. L’enjeu est de caractériser les déplacements sur le milieu côtier, et d’essayer de comprendre comment cette fréquentation, de manière cumulée à d’autres types de pressions, peut affecter l’état de santé des écosystèmes côtiers."

"La dernière thèse que j’encadre est celle de Johann Ludovic Happi. Il s’intéresse à l’évaluation de l’état de santé des mangroves, en lien avec les activités humaines. L’objectif est de mettre en place des indicateurs d’état de santé de l’écosystème, et de mieux comprendre comment l’urbanisation affecte ces habitats qui rendent des services essentiels à l’Humain."

Mois de l'océan

Gauthier Schaal - “J’ai assez peu d'attaches à l’océan en fait. Je travaille juste en face de la mer, et pourtant, j’ai choisi d’habiter dans les terres.
Cependant, mes plus beaux souvenirs de vie sont des campagnes de terrain, en mer, partout dans le monde. J’y ai vécu des expériences incroyables qui m’ont procuré des émotions très fortes.
Mais voilà, je reste quelqu’un de plutôt terrien, la mer ne joue pas un rôle central dans ma vie, même si j’y suis très relié par mon métier. ”

Gauthier Schaal