Des recherches en physique fondamentale menées par l’équipe du laboratoire d’optique et de magnétisme (OPTIMAG) de l’UBO conduisent à une nouvelle découverte. Cette innovation présente le potentiel de réduction de la consommation énergétique du monde numérique en travaillant sur les propriétés magnétiques de matériaux utiles aux technologies de l’information et de la communication. Ce travail d’équipe a mené à une publication en libre accès dans le prestigieux portfolio des revues Nature le 7 décembre 2023. Le point avec David Dekadjevi, maître de conférences à l’UBO et spécialiste du magnétisme.
STOCKER PLUS EN CONSOMMANT MOINS : UN ENJEU SOCIÉTAL ET UN DÉFI TECHNOLOGIQUE
Dans les années 2000, les capacités de stockage de l’information numérique sont révolutionnées grâce au magnétisme (voir encadré ci-contre) des matériaux à l’échelle du nanomètre.
Mais les données numériques, codées sous forme de suite de 0 et de 1, sont stockées sur des data center, ou centres de données, qui s’avèrent très énergivores. Ils consomment d’autant plus d’énergie qu’avec l’essor du numérique (voir encadré ci-dessous), les besoins de stockage ont augmenté de façon exponentielle.
Aujourd’hui, le monde numérique fait donc face à des enjeux sociétaux à la fois cruciaux et paradoxaux : il faut par exemple stocker de plus en plus d’information, sur des espaces de stockage de plus en plus petits, avec une vitesse de téléchargement plus rapide, tout en réduisant le coût énergétique.
L’une des pistes envisagées pour répondre à ces exigences est l’optimisation des matériaux utilisés dans le monde du numérique, par exemple pour la mise en œuvre de serveurs.
LE MAGNÉTISME : KEZAKO ?
« Le stockage de l’information, c’est du magnétisme. Le magnétisme est porté par une particule particulière : l’électron. Les électrons sont des particules chargées négativement, présentes à l’intérieur de l’atome, et qui ont des propriétés quantiques, dénommées spin. Quand l'électron se déplace, il crée de l'électricité. explique David Dekadjevi. De par le spin de l’électron, le magnétisme s’exprime dans la matière quelle qu’elle soit, tous les matériaux sont donc magnétiques. »
LES CHIFFRES DU NUMÉRIQUE
Le monde numérique est omniprésent dans le quotidien de notre société depuis l’essor des technologies de l’information et de la communication. Selon le baromètre 2022 du numérique, près de 8 foyers sur 10 sont équipés d’au moins un téléphone portable, 84 % possèdent un ordinateur et 40 % une tablette tactile.
Mais l’utilisation du numérique a des conséquences non négligeables sur l’environnement, notamment en matière de consommation énergétique. On estime que d’ici 2030, le digital représentera 20% de la consommation totale d’énergie, principalement pour le stockage des données numériques.
JOUER SUR LES PROPRIETES DES MATERIAUX
« Pour stocker sur des espaces de plus en plus petits, on va s’intéresser aux propriétés magnétiques des matériaux à l’échelle du nanomètre. Un nanomètre correspond à trois atomes côte à côte, c’est donc de l’ordre de l’infiniment petit. On va ensuite étudier et modifier ces propriétés magnétiques pour identifier celles qui seraient les plus intéressantes pour répondre aux enjeux environnementaux » précise David Dekadjevi. « D'un point de vue fondamental, on s'amuse. En fait, on joue avec les propriétés des matériaux. Et ça, c'est vraiment le cœur de notre métier. »
Pour modifier ses propriétés magnétiques, nous pouvons contraindre mécaniquement le matériau, soit l’étirer ou le contracter à l’échelle du nanomètre. Pour cela, il est possible de l’associer à un autre matériau aux propriétés différentes : « Il faut s’imaginer que les matériaux sont collés entre eux »
Concrètement, comment ça marche ? « En fait, c’est comme une tartine : on prend du jambon, c’est le matériau magnétique, et on le dépose sur le pain, c’est le matériau dit piézoélectrique. Si on tord le pain, le jambon va aussi se déformer. » explique David Dekadjevi.
Des matériaux piézoélectriques ont également des propriétés particulières : lorsqu’on y applique un champ électrique, en branchant deux fils électriques, sa dimension spatiale change « On peut alors utiliser différents types de matériaux, comme si on changeait de pain pour notre tartine : un pain complet va réagir différemment d’un pain blanc avec la même tension électrique. Par exemple, le pain complet change de taille en passant de 5 cm à 4 cm, alors que le pain blanc va passer de 5 cm à 4,8 cm. Et si le jambon est collé à ce pain, il va aussi changer de taille : il change alors ses propriétés magnétiques. L’objectif est de croiser les propriétés de ces deux matériaux pour étudier les changements que cela provoque. »
TROUVER LA MEILLEURE « TARTINE »
Ces différentes études sur les matériaux sont conduites depuis une dizaine d’années par plusieurs équipes de recherche dans le monde, dont l’équipe du laboratoire OPTIMAG. « Des équipes de recherche ont montré que l’on peut changer les propriétés magnétiques de ces matériaux, et de façon non négligeable, lorsque l’on applique une tension électrique. » L’objectif est de réduire la consommation d’énergie des stimulus appliqués sur les matériaux utilisés dans le stockage des informations. « Au laboratoire OPTIMAG, nous sommes des boulangers : nous utilisons le meilleur pain, et nous cherchons le meilleur jambon. » Alors quand une nouvelle recette de jambon, soit un nouveau matériau magnétique, est développée par l’US NAVY, les chercheurs brestois s’en emparent pour la reproduire, puis étudier ses propriétés.
En parallèle, une start-up coréenne a développé un nouveau matériau piézoélectrique avec des propriétés particulières, soit une recette de pain inédite.
« Une fois que l’on a récupéré la recette du nouveau jambon, on l’a recréé et optimisé dans notre laboratoire pour affiner les propriétés magnétiques. On a ensuite eu l’idée de déposer ce nouveau jambon, celui de la NAVY optimisé au laboratoire, sur le nouveau pain, celui de la start-up. On y a appliqué un champ électrique pour observer les changements de propriétés magnétiques du jambon. Les changements obtenus ont été vraiment remarquables, si ce n’est l’un des meilleurs changements obtenus dans la communauté scientifique. »
Ces résultats innovants ont alors fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique de la société américaine de physique, l’American Physical Society, en mars 2020.
Mais les recherches ne s’arrêtent pas là pour l’équipe OPTIMAG.
ET LA LUMIÈRE FUT
La recherche fondamentale est faite d’opportunités et la force du laboratoire OPTIMAG est de compter deux équipes différentes mais complémentaires : l’une s’intéresse au magnétisme, l’autre à l’optique. En travaillant conjointement, les chercheurs des deux équipes ont eu ainsi l’idée d’éclairer le nouveau matériau, la fameuse tartine, avec un faisceau lumineux
« Et là c’était comme un panier à 3 points au basket : en éclairant le matériau, on a vu ses propriétés changer, s’enthousiasme David Dekadjevi
Place alors à une phase de vérification des expérimentations pendant plusieurs années : les chercheurs ont sondé les propriétés du matériau dans toutes les directions pour en observer les changements en longueur, en largeur, puis en fonction de la température, de l’intensité de la lumière… « Le stimulus de lumière change les propriétés de notre tartine. On le pensait déjà, mais on a pu le caractériser dans toutes les directions de l’espace ».
Échantillon sous illumination laser, au sein d'un électro-aimant
Pour la prochaine étape, les chercheurs s’intéressent à l’échelle temporelle ou fréquentielle. Aujourd’hui, le traitement de l’information va de plus en plus vite, l’échelle de temps est donc centrale.
« La lumière est une onde électromagnétique, elle varie en fonction du temps et de l’espace. À notre connaissance, personne n'avait jamais vu qu’il était possible de modifier la dépendance temporelle de ce matériau avec cette lumière. Je suis sûr que des personnes ont pensé à mettre en place cette expérience, mais il faut des dispositifs expérimentaux adaptés et c’est le cas à l’UBO grâce à l’une de nos plateformes technologiques. »
Le dispositif mis au point par l’équipe de recherche est donc composé de matériel de pointe pour mener des expérimentations à l’échelle du nanomètre… mais aussi d’un attache vélo et de papier aluminium trouvé en supermarché ! « Parfois, il faut faire avec les éléments qu’on a sous la main »
Un travail collaboratif avec des chercheurs de l’IMT Atlantique et de l’Université de Johannesbourg a également permis d’affiner le montage expérimental pendant plusieurs mois. Et ce long travail paye : « Les expérimentations ont permis de montrer que le nouveau matériau que l’on a créé est spécial et très efficace : ses propriétés magnétiques présentent le potentiel d’un contrôle à distance à l’aide de la lumière pour des technologies de l’information et des communications. » Et ainsi de réduire l’impact énergétique du numérique !
LE LABORATOIRE OPTIMAG
Le laboratoire d’optique et de magnétisme (EA 938) est le laboratoire de physique de l’Université de Bretagne Occidentale.
Les chercheurs de l’unité sont répartis en 2 équipes selon leur spécialité : l’optique et le magnétisme. Ensemble, ils mènent des projets de recherche interdisciplinaires, associant la physique à la biologie, la médecine, les sciences de l’environnement, l’opto-électronique, et les technologies de l’information et des communications avec des applications à fortes retombées socio-économiques, comme en témoignent le dépôt de brevets et les collaborations avec des entreprises (d'après le rapport HCERES). Ils collaborent également régulièrement avec des équipes de recherche internationale
Le laboratoire compte 14 membres permanents et accueille régulièrement des stagiaires de master et des doctorants.