
Dario Alparone est psychologue clinicien, maître de conférences LRU en psychopathologie et responsable de la première année de licence en psychologie à l’UBO.
D'abord auteur de deux thèses de doctorat, la première en criminologie soutenue en Italie, et la deuxième en psychopathologie soutenue à Rennes ; il est formé à la psychologie clinique, spécialisé en psychanalytique et psychodynamique. Ses recherches se concentrent sur l'utilisation des tests psychologiques en pratique clinique, et sur le fonctionnement psychique du passage à l’acte et aux conduites criminelles. Dernièrement, il s’intéresse aux addictions, plus précisément, il est en train de développer un travail de recherche sur les dépendances aux substances liées aux troubles de l’attachement, développés chez les patients.
Comment définiriez-vous une addiction ?
Dario Alparone - L’addiction est une dépendance à une substance ou à un comportement, qui s’exprime dans des conduites répétitives à travers lesquelles le sujet cherche une satisfaction, et qui entraîne une perte de contrôle et des effets négatifs sur sa vie quotidienne. On pourrait dire qu’il s’agit de quelqu’un qui a perdu partiellement sa volonté, et dont la conduite produit une souffrance au niveau psychique, jusqu’à parvenir, dans certains cas, à des formes d’autodestruction. La dépendance est étroitement liée à des processus neurophysiologiques, c’est-à-dire au fonctionnement du cerveau, qui restent encore en partie à expliquer.
Effectivement, l’enjeu est au niveau neurologique. Notre cerveau est programmé pour la recherche de plaisir. Chez les personnes dites “addictées”, soit qui souffrent de dépendance, le circuit de récompense prédomine au niveau cérébral, ce qui les pousse continuellement à la recherche de satisfaction. Ce circuit de recherche de plaisir devient alors central dans la vie des patients, et prend le pas sur les autres circuits neuronaux. Le sujet addicté s’accoutume, il devient tolérant et a besoin d’une dose plus importante que la norme pour ressentir du plaisir. Il a du mal à s’en libérer, ce qui l’amène à des conduites compulsives.
Vous travaillez sur les nouvelles formes d'addiction naissantes de notre société contemporaine, quelles sont-elles ?
Dario Alparone - Il faut savoir que tout peut devenir addictif, et que la société contemporaine, comme plusieurs psychanalystes et sociologues le révèlent, est une société où les limites sont en crise. Cela implique que, sur le plan subjectif, l'accès à la jouissance, à la satisfaction des pulsions, peut être vécu comme illimité. Et c'est pourquoi, dans la société contemporaine, nous pouvons observer toute une série de contre-tendances pour tenter de récupérer d'une certaine manière, des limites symboliques. Par exemple, on peut voir cela dans la mise en place de comités d'éthique, des nouvelles législations pour les familles, ou même dans la diffusion de nouvelles pratiques spirituelles et religieuses. À cela, il faut ajouter les possibilités d'action qu'offrent les nouvelles technologies, et ce scénario ouvre l'être humain à toute une série de possibilités de satisfaction inédites jusqu'à présent.
Récemment, j’ai mené un travail de recherche sur les addictions nées de la société contemporaine, notamment sur l’addiction aux applications de rencontre. Aujourd’hui, pour une certaine tranche d’âge et une certaine génération, les sites de rencontre ont pris un aspect assez central dans la vie des gens. Dans ce cas-ci, l’addiction est liée à l’utilisation d’Internet et des dispositifs numériques de façon compulsive. C’est ce qui se produit parfois, dans notre rapport avec les notifications des réseaux sociaux.
Les relations humaines se font par l’intermédiaire de l’application. Les rencontres réelles deviennent alors secondaires, car ouvrir l’application et se connecter au réseau procure du plaisir au cerveau ; tandis que la rencontre réelle peut devenir anxiogène et relever de l'échec. C’est une forme de souffrance typique de notre société contemporaine.

Par ailleurs, le symptôme addictif a toujours été caractérisé par l’exclusion de la rencontre avec ”l’Autre”. En effet, cette dernière implique que l’individu doit s’imposer certaines limites symboliques, que toute relation avec les autres implique, qu’il n’a pas à s’imposer lorsqu’il est isolé, dans sa satisfaction solitaire.
Quels sont les travaux de recherche que vous développez actuellement ?
Dario Alparone - Il faut tout d’abord dire que ma recherche en psychologie clinique est basée sur l’expérience clinique avec les patients. Ma méthodologie de recherche tourne autour des suivis individuels. Je recueille des données en écoutant mes patients, et je les traite à la lumière des avancées de la psychologie clinique actuelle, développant ainsi de nouvelles pistes de recherche.

En ce qui concerne le contenu de mes recherches, comme je l'ai dit, je concentre actuellement mes travaux sur les addictions. En particulier, je voudrais me focaliser sur les difficultés dans les relations d'attachement qui peuvent perturber le développement du patient. Comme le démontrent certaines recherches neuropsychanalytiques de Solms et de ses collègues, les premières expériences traumatisantes dans les relations d'attachement, peuvent perturber les circuits cérébraux de recherche de récompense, conduisant à l'adoption de comportements de dépendance. Il s’agit de sujets plus vulnérables, qui présentent des prédispositions à des conduites addictives. Dans cette optique, la dépendance est un comportement de recherche de satisfaction pour répondre à des carences affectives inconscientes.
De plus, au Laboratoire de Psychologie : Cognition, Comportement, Communication (LP3C), nous sommes en train de lancer une recherche sur le cyberharcèlement chez les adolescents. Il s’agit de présenter des questionnaires aux élèves, afin de les interroger sur leurs expériences relationnelles avec les autres à l’école. Ce projet prévoit également des interventions de prévention et de prise en charge de cas de cyberharcèlement. Il s’agit d’un projet qu’on nomme de “recherche-intervention”.
Comment vos recherches s'appliquent-elles au niveau clinique ?
Dario Alparone - En psychologie clinique et en psychopathologie, la recherche sert à mieux comprendre les processus inconscients qui se cachent derrière les troubles mentaux et la souffrance psychique, afin de mieux concevoir l'accompagnement, la prise en charge et la psychothérapie des patients. Par exemple, dire que l’addiction est le résultat d'un trouble de l'attachement, donc d'une pathologie de la relation, signifie que le traitement du sujet “addicté” passe d'abord par la relation thérapeutique. Ce que les psychanalystes appellent le transfert, c’est-à-dire la relation clinicien-patient, devient donc le principal outil d'intervention auprès des personnes avec des symptômes addictifs. De même, comprendre les mécanismes neurophysiologiques de la dépendance permet de saisir l'ampleur de ce malaise et donc de prévoir, dans l'intervention clinique, un accompagnement également pharmacologique.
Qui plus est, mener des réflexions théoriques et sociales en psychologie clinique permet aussi de sensibiliser le public d'un point de vue politique, car certaines problématiques que nous rencontrons dans la pratique clinique sont d'ordre sanitaire. C'est le cas, par exemple, du livre The anxious generation, écrit par le psychologue américain Jonathan Haidt, sur la génération Z.
Pouvez-vous en dire davantage sur ce livre de Jonathan Haidt ?
Dario Alparone - La génération Z comprend les personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010. Selon les recherches de Jonathan Haidt, publiées récemment dans le livre The anxious generation, les troubles anxieux et dépressifs ont augmenté en moyenne d'une fois et demie chez les plus jeunes, la « Gen Z ». Ces données concernent principalement les jeunes Américains, mais commencent à être confirmées dans d'autres pays occidentaux.
Il faut préciser que ces données sont d'autant plus surprenantes si l'on tient compte des intervalles de temps. En effet, l'augmentation de la diffusion de ces troubles psychiques est significative à partir de 2010, suivant une tendance assez claire et incontestable. Qu'est-ce qui a changé dans les sociétés occidentales depuis 2010 ? La réponse est aussi simple qu'inquiétante et stupéfiante : l'accès direct des adolescents à Internet, notamment les réseaux sociaux, grâce à la diffusion des smartphones. Selon Haidt, l'accès direct à Internet via les smartphones pour les plus jeunes a entraîné une véritable révolution dans le fonctionnement psychique des jeunes générations.
Bien sûr, il s'agit d'une recherche qui vient d'être publiée et qui sera suivie d'un débat ainsi que d'une série de vérifications. Cependant, j'ai des raisons de penser que cette recherche aura des répercussions, et de mon point de vue, je juge important d'en tenir compte tant dans mes recherches à venir, que dans ma pratique clinique. Et d'ailleurs, il s'agit d'une recherche intéressante, car elle confirme l'idée que j'évoquais au début, à savoir que l'addiction semble être un style symptomatique qui caractérise la société contemporaine.
La semaine du cerveau à Brest
Lors de la semaine du cerveau 2025, Dario Alparone mènera une conférence au cours de laquelle il présentera ses travaux de recherches actuels. Il parlera également de l'interconnection entre les neurosciences et la psychanalyse, des disciplines qui ont souvent été différenciées, mais qui aujourd’hui dialoguent.
Durant cette conférence, il abordera aussi le concept de pulsion de mort. L’idée selon laquelle, chez l’humain, il y a une pente mortifère à partir de laquelle l’individu cherche inconsciemment son autodestruction. Cependant, d’un point de vue biologique, cela représente un contresens, car cela va à l’encontre du besoin de vie. C’est donc un concept paradoxal, qui fait encore l'objet de débats aujourd'hui.