À la recherche de la Carhaisienne : retracer l'histoire d'une race bovine locale disparue

Le
Centre de Recherche Bretonne et Celtique
Vache Carhaisienne

Carhaix, ville moyenne du centre Finistère, possède son propre festival… mais aussi sa propre race de vache ! Une race locale disparue depuis 1940 que la municipalité souhaite faire revivre. Elza Julien, assistante de recherche au Centre de Recherche Bretonne et Celtique (CRBC), mène l’enquête pour retrouver sa trace.

 

Aujourd’hui, la France possède le plus grand cheptel de bovin en Europe, avec pas moins de 25 races.

Attention à ne pas confondre espèce et race : toutes les vaches françaises sont issues de la même espèce, la vache domestique ou Bos taurus en latin. Mais il existe de nombreuses races différentes : chacune a ses caractéristiques physiques et physiologiques pour répondre aux besoins des élevages. Par exemple, la Pie Noir est une vache laitière qui a été sélectionnée puis perfectionnée par croisement pour produire une grande quantité de lait.
Au fur et à mesure des croisements entre race, certaines peuvent disparaître des élevages. C’est le cas de la race Carhaisienne, race typique du centre Finistère, disparue depuis 1940. Pour préserver son patrimoine agronomique local, la mairie de Carhaix souhaite faire la revivre. Pour mieux la connaître, une étude est commandée au CRBC.

C’est dans ce cadre qu’a été recrutée Elza Julien. Ancienne étudiante du master Civilisations, Cultures et Sociétés de l’UBO, elle a réalisé un mémoire de recherche sur la Pie Noir : « lors de mon master je me suis intéressée à l’histoire animale, notamment à la suite des cours de Nicolas Baron. C’est une discipline porteuse, qui permet de se pencher sur plein de thématiques différentes : les enjeux écologiques, le bien-être animal, la relation avec la société, l’agronomie et la zootechnie… ».

C’est donc dans la continuité de ce premier travail sur les races locales qu’elle se lance entre septembre et novembre 2023, sous la direction de Nicolas Baron pour l'UBO et de Maxime Bergonso pour le GIE Races de Bretagne, dans cette étude pour déterminer quelles sont les caractéristiques qui définissent une Carhaisienne et son évolution : « en faisant une étude historique, on ne peut pas vraiment répondre à ces questions. Pour définir précisément une race, il faudrait faire une étude généalogique et génétique. L’idée ici c’était d’expliquer le phénomène de différenciation des races bovines en Bretagne grâce aux documents d’archives. »

Des archives aux témoignages : des recherches semées d’embûche

 

Pour retracer l’histoire de cette race, Elza Julien explore donc de nombreuses sources historiques, en commençant par les archives départementales, ainsi que Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Malgré des recherches approfondies et l’aide des archivistes, elle identifie peu de documents qui font référence à la Carhaisienne : « Au XIXe, ce sont surtout les auteurs parisiens, ceux qui publient dans de grandes librairies, qui font référence aux races locales dans leurs ouvrages. Au niveau local, on fait peu de différence entre les races. À cette époque, on voit surtout la vache dans le pré, il n’y a pas d’intérêt à garder une description précise de ce qu’on voit tous les jours. » De plus, il y a souvent confusion entre les races, notamment entre la Carhaisienne et la Pie Rouge qui sont toutes les deux blanches avec des taches rougeâtres.

Pour identifier la Carhaisienne, d’autres indices sont donc nécessaires. Elza Julien a fait le choix de se pencher sur des sources diverses : plaque de concours, bons d’achat de la société d’agriculture de Carhaix, inventaires de décès qui répertorient tous les biens des défunts, dont les animaux… Elle réalise également des entretiens auprès d’éleveurs « ce sont des témoignages importants, même si tous ne sont pas facilement exploitables ». Pour aller plus loin dans la démarche, elle effectue des stages auprès d’éleveurs locaux, dont Ronan Le Palud, éleveur de Pie Noir à Quéménéven (29). Il lui a notamment transmis des documents et livres sur les races locales de Bretagne, sources précieuses pour poursuivre son travail.

La Carhaisienne : une vache qui nous en apprend plus sur la société

 

Les différentes sources ont permis à Elza Julien de reconstituer la chronologie de la Carhaisienne. La race locale est citée pour la première fois vers 1840, puis on observe une disparition progressive jusqu’en 1940 : « Localement on a continué à parler de Carhaisienne jusque dans les années soixante, mais à cette époque la race s’était déjà diluée dans d’autres populations. Ce n’est pas tant la race en elle-même qui disparaît, cependant elle n’est plus citée dans les différents documents identifiés ». En effet, les races locales évoluent au fil des croisements, donnant naissance à de nouvelles vaches avec des caractéristiques différentes. Par exemple, le croisement entre la Carhaisienne et la race Durham, une vache anglaise massivement importée en France au début du XXe, donne la célèbre Armoricaine apparue à partir de 1929.

Finalement, à quoi ressemble une Carhaisienne ? Les descriptions sont rares, mais à travers quelques photos et traces écrites, Elza Julien parvient à esquisser un portrait : « Beaucoup de documents indiquent que c’était plutôt une race à vocation bouchère, il y avait notamment un grand concours de boucherie à Carhaix qui en témoigne. D’après plusieurs auteurs, comme elle était un peu plus grande que la bretonne Pie Noir, c'était plus intéressant de vendre les carcasses. En plus, comme la plupart des autres races locales sont des vaches laitières, c’était intéressant d’avoir cette vache pour la viande. La Carhaisienne se reconnaît également par ses cornes en croissant, qui pourraient venir des croisements avec des races vendéennes. Au niveau de la couleur, elle se rapproche des Pies Rouges : blanches avec des tâches marron/rouge. »
Ces quelques caractéristiques pourront servir de référence pour redonner vie à la Carhaisienne. Il s’agirait de choisir des races contemporaines présentant des caractéristiques similaires, puis d’effectuer des croisements afin d’obtenir une vache se rapprochant de la Carhaisienne.

Au-delà de la recherche de cette race disparue, l'étude des races locales offre un aperçu précieux des sociétés qui les ont élevées. Alors que ces races ont été négligées en raison de leur faible productivité, les défis sociétaux et environnementaux actuels suscitent un regain d'intérêt pour ces races locales, correspondant mieux aux besoins contemporains.