Cérémonie d'installation de la 33e promotion de l'IUF du 14 novembre 2023 avec de gauche à droite Gaëtan Burgaud, Simona Niculescu, Elyes Jouini (Administrateur de l'IUF) et Teriitutea Quesnot.
Simona Niculescu et Teriitutea Quesnot, tous les deux enseignants-chercheurs à l‘UBO et membres du laboratoire LETG*-Brest, viennent d’être nommés membres de l’Institut Universitaire de France (IUF). Ce statut, attribué par un jury international multidisciplinaire au terme d’un processus de sélection rigoureux, est accordé pour une durée de 5 ans et permet aux lauréats de se concentrer sur leurs travaux de recherche pour créer et innover.
* Littoral, Environnement, Géomatique, Télédétection (LETG, UMR 6554 (CNRS-École Pratique de Hautes Études-Université d’Angers-UBO-Université Caen Normandie-Université de Nantes-Université de Rennes 2)
Simona Niculescu est nommée membre senior et lauréate d’une chaire Fondamentale IUF. Géographe de formation, ses recherches doctorales portaient sur des analyses diachroniques des différentes données environnementales en ayant comme objectif l’analyse de l’évolution des paysages d’un pays comme la Roumanie juste après la chute du communisme. Pour cela, elle a appliqué des méthodes géostatistiques, des analyses thermographiques, texturales et de voisinage à partir d’images satellites. Sa thèse a été réalisée à l’université Paris IV Sorbonne et soutenue en février 2002. Elle se spécialise depuis dans le domaine de la télédétection.
Après un post-doctorat à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris, dans un laboratoire de mathématiques appliquées aux sciences sociales, et un premier poste d’ATER à l’université Paris 8, elle arrive à Brest en 2003 en tant que maître de conférences à l’École navale de Lavéoc-Poulmic. En 2004, après un concours, elle rejoint l’UBO et le laboratoire LETG-Brest, où elle se spécialise dans la télédétection des zones côtières. Pendant sa carrière à l’UBO, elle obtient trois délégations CNRS. Durant ses deux premières délégations CNRS, elle prépare son diplôme d’habilitation à diriger des recherches (HDR) soutenue en novembre 2015 à l’Université de Paris IV Sorbonne. La dernière délégation CNRS (2019-2020) lui a permis de faire une mobilité d’une année universitaire à l’Université de Californie Santa Barbara (USA).
Teriitutea Quesnot est quant à lui nommé membre junior et lauréat d’une chaire Innovation. Originaire de Tahiti, il réalise d’abord son mémoire de maîtrise à l’Université Bordeaux 3 sur les dynamiques territoriales des populations locales impactées par l’instauration de mesures de protection environnementale en Polynésie française. Il poursuit ensuite une thèse en sciences géomatiques à l’Université Laval (Québec) consacrée à l’amélioration cognitive des systèmes d’aide à la navigation. Après une première expérience dans l’industrie aéronautique en tant qu’ingénieur chez Airbus, il rejoint le département de géographie de l’UBO et le LETG-Brest en 2018.
1. Pourquoi êtes-vous devenus chercheurs ?
Simona Niculescu : Depuis toujours j’apprécie faire de la recherche, j’ai toujours essayé de comprendre les choses qui m’entourent, de comprendre comment elles fonctionnent et surtout pourquoi. Il y a une anecdote qui parle de la curiosité des savants et de la curiosité des femmes, moi j’ai les deux !
Teriitutea Quesnot : Bonne question ! Le milieu universitaire m’a toujours fasciné. J’ai commencé à faire de la recherche pendant ma maîtrise sur un sujet qui me tenait à cœur et qui me permettait de me rapprocher de chez moi. C’est toujours le cas avec les projets de recherche sur lesquels je travaille actuellement. La flexibilité dont on bénéficie est très appréciable. On peut choisir les thématiques sur lesquelles travailler et les approfondir… La recherche, c’est passionnant, mais, de mon point de vue, il est également important de transmettre les connaissances académiques que nous produisons. C’est la raison pour laquelle je me suis orienté vers le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche.
2. Sur quoi portent vos recherches ?
S.N : Pendant la période de préparation de mon HDR, j’ai commencé à travailler sur la méthodologie de Machine Learning (apprentissage automatique, y compris l’apprentissage approfondi – Deep Learning) appliquée aux zones côtières et notamment des zones humides côtières de différentes régions du globe : les zones humides côtières des deltas du Danube, du Fleuve Rouge et du Mékong au Viêt-Nam, et plus récemment le littoral de l’ouest de l’Algérie, le littoral gabonais et les zones côtières de Bretagne. Les résultats de ces travaux de recherche ont été intégrés au fur et à mesure dans le contenu de mes cours, notamment dans le cours de « Télédétection du littoral » à différents niveaux d’enseignement (licence de géographie et master EGEL* de l’IUEM). Dans tous mes travaux de recherche, l’accent est mis sur le rapport nature/société. De nos jours, cette relation des Hommes à leur environnement, ne se conçoit plus dans un contexte de stabilité, mais dans un contexte de changement : d’une part, les changements naturels spontanés du climat et des paysages, parfois marqués par des événements ponctuels et violents, tels que des inondations, érosion, etc., et, d’autre part, les changements suscités par les sociétés en raison de leurs activités agricoles et industrielles ou de l’urbanisation. Le changement, un mot-clé qui se trouve au cœur de mes démarches de recherches spatiales auxquelles la télédétection a fortement contribué.
*Master Expertise et Gestion de l’Environnement Littoral
Identification de végétaux aquatiques par télédétection (ici des plaurs en rouge et des macrophytes aquatiques en cyan)
T.Q : J’ai actuellement deux projets ANR en cours à l’UBO. Le projet CORES est un financement de type PRCE* et porte sur les comportements et les représentations mentales collectives de l’espace en milieu urbain. Il se termine en 2024. Le projet ANR HITI relève du dispositif JCJC* et a démarré en 2022 pour 4 ans. Il reprend les pistes de recherche que j’avais soulevées dans mon mémoire de maîtrise qui traite des dynamiques territoriales et des enjeux liés à la mise en place de zonages environnementaux en Polynésie française. Nous développons dans le cadre de HITI une nouvelle approche de la cartographie culturelle qui se focalise sur les pratiques de pêche lagonaire à Moorea, une île située à proximité de Tahiti. Pour cela, nous utilisons des outils qui tranchent avec la cartographie conventionnelle comme les cartes mentales dressées sous forme de dessins à main levée, les graphes cognitifs, ou encore les vidéos et prises de sons… La finalité étant de produire des supports opérationnels qui seront exploités par les gestionnaires du plan de gestion de l’espace maritime (PGEM) de Moorea afin d’améliorer les délimitations des aires marines protégées et des zones de pêche règlementées.
*Projet de Recherche Collaborative avec une Entreprise
*Jeune Chercheuse et Jeune Chercheur
3. Que représente pour vous l’IUF ?
S.N : Pour moi, c’est une institution, une organisation française qui regroupe des enseignants-chercheurs pour leur mérite. C’est ce climat d’émulation intellectuelle qui m’a attiré profondément. Et en plus, une fois nommé à l’IUF, on est dispensé d’une partie de nos cours pour se concentrer sur la recherche.
T.Q : Plusieurs choses. L’IUF, c’est d’abord l’opportunité d’avoir une décharge de cours sur un temps long : 5 ans ! Les deux projets ANR dans lesquels je suis impliqué, dont l’un à titre de coordinateur, sont chronophages. La délégation IUF me permettra donc de me consacrer à mes recherches dans de meilleures conditions, tout en assurant la transmission des connaissances auprès des étudiants et étudiantes de l’UBO*. Cette nomination représente également une belle reconnaissance de mes travaux en Polynésie française, et plus généralement des recherches en sciences humaines et sociales qui sont menées à travers toute l’Océanie.
* La décharge de cours porte sur 2/3 des enseignements.
4. Sur quoi vont porter vos projets avec l’IUF ?
S.N : Mon projet vise à développer des approches innovantes et interdisciplinaires dans le cadre d'un programme collaboratif original structuré autour de workpackages horizontaux et de transfert de connaissances entre partenaires (réseau EUCOMARE, réseau multinational et multidisciplinaire). L’objectif est de proposer des solutions aux conséquences des changements des zones humides côtières et de mettre en place un projet d'application de la recherche dans l'idée qu'un nouveau dialogue entre science et société est nécessaire. Différentes étapes conceptuelles seront évoquées : de l'utilisation de la modélisation numérique aux nouveaux algorithmes d'intelligence artificielle, en passant par des enquêtes intermédiaires in-situ. En raison du manque relatif d'études complètes sur les zones humides côtières, nous pensons que cette étude systémique basée sur de nouvelles méthodes et techniques avancées permettra un suivi et une prédiction précise et rapide des changements survenant en raison des variations rapides et saisonnières en réponse à des facteurs naturels et anthropiques. Ce projet cherche à répondre à des défis sociétaux majeurs et à fournir une aide à la compréhension et à la prise de décision concernant les zones humides côtières dans le contexte du changement climatique. Au démarrage, le projet se concentre sur trois régions : les zones humides côtières de Bretagne, la zone humide côtière de La Macta (Algérie) et les zones humides côtières du delta du Mekong au Viêtnam. À terme, l’objectif est de suivre d’autres zones humides côtières dans le monde par télédétection tout en appliquant la méthodologie Machine Learning. Sur ces questions, je travaille avec une équipe de recherche internationale et pluridisciplinaire : des biologistes, des ingénieurs en sciences de l’informatique… mais le noyau du projet reste la télédétection appliquée aux zones côtières.
T.Q : Je serai titulaire d’une chaire Innovation à compter du 1er octobre 2023. Mon projet IUF s’attache donc à développer des approches et des outils transférables vers le monde non-académique. Ce projet, intitulé « Approche non-aristotélicienne de la cartographie : fondements théorico-pratiques et applications en Océanie lointaine », s’inscrit dans la continuité de l’ANR HITI. En résumé, la représentation de l’information géographique via la cartographie conventionnelle repose sur une logique aristotélicienne : les limites des objets cartographiés sont fixes et rigides. Ces délimitations induisent inévitablement une rupture entre l’Humain et son milieu. En Océanie, la cartographie des dispositifs de protection environnementale comme les aires marines protégées et les zones de pêche réglementées est calquée sur ce modèle occidental. Or, cette approche est inadéquate d’un point de vue culturel, car la culture océanienne repose sur des continuums multiples : terre et mer, nature et culture, humains et non-humains… L’approche conventionnelle n’est clairement pas adaptée à la manière dont les Océaniens se représentent l’environnement et le pratiquent au quotidien, ce qui explique en partie l’échec sociétal de ces dispositifs. L’objectif principal de mon projet IUF est donc de rétablir une forme de continuité humano-environnementale au sein de la carte en usant de logiques non classiques comme la logique floue, ou encore la logique tétralemmique indienne qui transcende le tiers exclu aristotélicien. En plus de mes travaux sur le PGEM de Moorea, j’étendrai mes recherches à la Nouvelle-Calédonie, en travaillant notamment sur le cadastre coutumier Kanak.
5. Quelle est votre plus belle réussite en tant que chercheur ?
S.N : C’est celle-là ! Mais il y a aussi la chaire Jean-Monnet qui s’est terminée en décembre 2022. Cette chaire européenne était axée à la fois sur la formation et la recherche dans le domaine spatial de la mer et du littoral.
T.Q : Difficile à dire… L’IUF marque incontestablement un grand tournant dans ma jeune carrière, mais je pense que l’évènement le plus marquant reste l’obtention de mon ANR JCJC, car la conduite du projet HITI m’aura permis d’ancrer solidement, et sûrement définitivement, ma recherche en Océanie.